Vidéo-alarmisme : au coeur d'une étude biaisée

Publié le par Haru

Après relecture, l'étude IPSOS pour la délégation interministérielle à la famille n'est finalement pas très intéressante, dans la mesure où, comme bien souvent, celle-ci cherche ostensiblement à démontrer quelque chose, qui finit par ne pas se démontrer, ou alors, seulement à moitié.

Outre qu'on y apprend que 99% des ados filles et 100% des ados garçons touchent plus ou moins régulièrement ou ont touché à un jeu vidéo, on apprend également, et c'est plus intéressant, que 83% des ados tous sexes confondus jouent au moins une fois par semaine et 42% d'entre eux jouent quotidiennement. Au risque de me répéter : on ne peut vraiment plus dire que les joueurs sont des marginaux.

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Viennent ensuite les questions orientées cherchant à montrer que les jeux, c'est mal. Celle sur les moments de jeu, notamment le matin avant d'aller au lycée. 4% à peine, l'essentiel d'entre eux jouant, de façon prévisible, en rentrant des cours (51%) ou après dîner (41%). Seuls 6% jouent tard (après 22h, ce que le sondage appelle "la nuit"...), preuve à nouveau que le jeu vidéo reste un loisir globalement maitrisé et non pas un hypnotiseur d'enfants.

Comme cela n'est pas assez, il faut montrer que le jeu vidéo rend les adolescents agressif et que celui-ci est à l'occasion de tensions familiales : ainsi, on demande aux sondés à quelle fréquence les jeux vidéo sont sujet de dispute, plus précisément le temps de jeu d'après l'énoncé de la question. Les résultats sont mitigés comme vous le voyez ci-dessous.

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Le temps de jeu n'est un sujet de dispute fréquent que dans 6% des cas, parfois dans 28% et rare dans 39% des cas. Notons que ça n'est pas un problème pour 27% des parents pour qui ça n'arrive pas. Là, l'équation se complexifie, dans la mesure où la question est posée à l'ensemble des ados de l'étude se déclarant joueurs, or, seuls 42% jouent une fois par jour. Il me faudrait avoir les diagrammes imprimés sous le coude pour pouvoir griffoner et annoter car là, l'interprétation devient difficile.

D'autant plus qu'à ce moment précis, on dépasse la simple constation statistique. Les questions sur la fréquence de jeu n'impliquent pas de ressenti personnel : on le demande aux personnes car on imagine qu'ils peuvent donner une réponse fiable et non biaisée car ils n'ont pas à interpréter : on arriverait sans doute au même résultat en les suivant pendant un mois et en comptant leurs temps de jeu.

Là, la question parle de disputes. Qu'est ce qu'une dispute ? Une remarque agacée de la mère parce que Kévin a mis dix minutes à trouver un point de sauvegarde pour descendre diner ? Un refus d'activité familiale du petit dernier parce que sa team sur Dofus avait prévu un raid ? Ou encore, et c'est surement le plus probable, les parents qui demandent à leur ado d'arrêter sa console parce qu'il monopolise la télé du salon ? J'ai du mal à m'expliquer ce chiffre total de 73% de disputes à cause des jeux vidéo, même si cela inclus la catégorie "rare", dans la mesure où il n'y a que 42% de joueurs quotidiens.

Ce chiffre est d'autant plus biaisé donc que, comme je commençais à l'expliqué avec le ressenti, c'est que la "dispute" implique plusieurs personnes : le sondé et ses parents. Certains parents placent plus ou moins haut leur seuil de tolérance concernant le temps de jeu de leur enfant. De même, certains ados émotifs prendront la simple remarque évoquée au dessus comme un sujet de dispute comme l'entend l'étude quand d'autres non. Sans compter la fréquence évoquée par l'étude : si on peux compter les heures de jeu, difficile de compter les disputes à ce sujet, surtout que certains verront une dispute quand d'autres n'en verront pas. Aussi, les propositions "souvent", "parfois" et "rarement" paraissent particulièrement inadapteés, parfois et rarement ayant particulièrement l'air de se recouvrir.

Quoiqu'il en soit, il y a dans tous les cas beaucoup trop d'inconnues et d'incertitudes méthodologiques pour ne pas accorder de crédit du tout à cette question, d'autant que, comme déjà dit, celle-ci n'a visiblement que pour but de stigmatiser les jeux vidéo.

La planche suivante souligne le manque d'implication et d'intérêt des parents pour les comportements de jeu de leurs enfants. Cela ne fait que confirmer ce que j'avais déjà évoqué précédemment et c'est bien là qu'il y a le plus gros travail à faire : au risque de me répéter, une console n'est pas une nounou FFS ! 42% des parents n'ont jamais été foutus de regarder leur enfant jouer, même pas une fois ! Vu le prix d'une console, et vu que ce sont généralement eux qui fournissent la somme, c'est tout de même honteux qu'ils ne consentent pas à cet "effort"...

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Vient ensuite la violence des jeux vidéo : là encore, on cherche à démontrer un danger. A grand renfort de regrouprement statistique, on arrive au chiffre raccoleur de 68% des ados choqués au moins une fois par un jeu vidéo. Oui, sauf que seul 2% le sont "souvent" (même problème que tout à l'heure, qu'est ce que souvent ?), 27% "parfois" et 39% "rarement". On arrive donc finalement plutôt à 66% des ados occasionellement choqués par les jeux vidéo. D'accord, mais j'aimerais avoir des chiffres comparatifs, par exemple, avec la télévision : loin de moi l'envie de reprendre cette idée préconcue et débile du JT prétendument hyperviolent, mais on doit arriver facilement au moins à 68% de choqués au moins une fois par une image vue à la télévision.


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De même, le choc évoqué est sans commentaire, sans analyse : il est tout à fait possible d'être choqué ou impressionné par certaines images mais de prendre suffisamment de recul par rapport à celles-ci pour rendre l'expérience constructive. Le choc n'implique pas forcément de dégats psychologique : bien sur, quand j'ai fait, entre 13 et 15 ans, l'intégralité des Resident Evil, certaines scènes m'ont forcément impressionné et fait détourner les yeux, comme je le ferais probablement aujourd'hui aussi d'ailleurs. On est généralement suffisamment conscient de ce qu'on regarde pour, d'avance, se préparer à ce qu'on va potentiellement voir et prendre le recul nécessaire.

Le choc décrit dans l'étude l'est sans précision. A-t-il été source de cauchemars ? D'un simple sursaut ? Pas de précision : encore une fois, le choc est très subjectif. La page suivante décompose le diagramme par age (12-14 ans et 15-17 ans), sans changement significatif des répartitions.

Les dernières pages sont consacrées au contrôle parental (les parents ne le mettent en place que dans 5% des cas sur les consoles, 43% sur les ordinateurs) et au PEGI : 37% des ados le connaissent et 26% le connaissent sans certitude. 36% n'en ont pas entendu parler : normal, a-t-on vu une campagne télé ou d'affiches souligner son importance ?

Cette classification PEGI est pourtant si bonne que les britanniques l'ont adopté en juin dernier, supprimant leurs comités locaux à l'occasion. D'autant que celui-ci est désormais bien visible (surtout depuis la nouvelle version 2009 qui ajoute un code couleur) et précisé dans toutes les campagnes publicitaires des éditeurs à propos d'un jeu. Ce qui n'empêche pourtant pas Nadine Morano, qui joue à GTA IV, de dire qu'aucune classification des jeux n'existe... Pour le coup, c'est un des rares enseignements utiles que pourrait tirer la délégation interministérielle de cette étude : mieux informer sur le système de classification PEGI les parents, qui s'informent peu, malgré les moyens à leur disposition.

Parmi ceux qui connaissent le PEGI, 55% vérifie régulièrement celui-ci, 20% ne vérifient que ponctuellement et 25% ne le vérifient pas du tout : c'est tout de même relativement peu. Notez que la question est tournée d'une certaine façon : "qu'il convient bien à votre age". Rappelons que le PEGI n'a qu'un rôle de conseil et non pas d'impératif, de même, celui-ci est beaucoup plus sévèrement classifié que les films par exemple : certains films interdits aux moins de douze ans sont nettement plus explicites que certains jeux déconseillés aux moins de 16 ou 18 ans.

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Je l'évoquais tout à l'heure au moment de la proportion de jeunes choqués : le PEGI n'étant pas restrictif mais offrant un conseil, le joueur ne le respectant pas est néanmoins prévenu : il sait se préparer psychologiquement et sait qu'il va jouer à un jeu risquant de le choquer ou contenant des scènes violente, et va donc anticiper les chocs potentiels.

Bref, cette étude largement orientée, offre quelques informations intéressantes, néanmoins, elle est loin de poser les bonnes questions et montre bien que, soit les questions ont été posées de façon à obtenir certains chiffres stigmatisants, soit, elle a été réalisée par des personnes mal informées ou disposant d'une connaissance partielle de la réalité du marché et de la consommation des jeux vidéo. On est loin d'un rapport solide sur la démographie des joueurs...

Publié dans Investigation

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G
<br /> Y'a pas à dire, je préfère la version longue.<br /> <br /> J'attends maintenant avec impatience la prochaine Moranirade sur la question, elle sera tellement crédible avec ces jolis camemberts  statistiques !<br /> <br /> Encore bravo pour la célébrité, rien que pour tenir le post quotidien tu la mérites amplement !<br /> <br /> <br />
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H
<br /> Y a pas à dire, moi aussi, néanmoins, Rue89 a réussi à fournir une version abrégée qui reprend les points les plus importants extrêmement réussie, je n'aurais pas su faire aussi bien :). Quant à la<br /> célébrité, laissons les statistiques parler, il n'est pas dit que cela se ressente tant que cela :)<br /> <br /> <br />
E
<br /> Pas mal. C'est presque un vrai article o/<br /> Des tristes sires te diraient que ouais ben c'pas nouveau qu'un sondage soit truqué, et que c'est même le cas à 73% des cas (Souvent+Parfois+Rarement surtout, important ça le Rarement :D). Après<br /> c'est à vous autres scribouillis de préciser par exemple que faudrait peut-être se réjouir qu'on se dispute avec ses parents au sujet de quelque chose où ils ont sant doute raison de nous<br /> engueuler, plutôt que de se faire pourrir parce qu'on préfère les gens du même sexe ou parce qu'on n'a pas voté comme eux (comment ils savent pour qui vous avez voté d'ailleurs ?)<br /> <br /> <br />
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